Née quelque part...
En ce 11 novembre, mes yeux s'égarent sur Twitter. C'est un jour comme je ne les aime pas sur les réseaux. Un jour plein de haine. D'insultes. De conneries.
Un de ces jours où vous vous dites qu'il faut couper. S'isoler de ce monde virtuel, pour se poser. Prendre le temps de lire, d'aller marcher, d'écouter de la musique, parler avec l'autre. Cet inconnu au café ou mon marchand de roses préféré...
Ca arrive. C'est comme ça. Twitter est le reflet de notre société. Dans ce qu'elle produit de plus inhumain. Et puis...
Et puis, mes yeux ont capté une phrase. Une autre. Encore une.
Pendant une heure. Les tweets ont défilé, mes larmes ont coulé.
Sur son compte @monsieurkaplan a raconté l'histoire de son grand-père qui avait fait la guerre de 14-18.
Son émotion était la mienne. Était la nôtre. Celle de notre histoire. De nos racines.
Les messages de @monsieurkaplan ont bouleversé la twittosphère. De là est né un blog.
Voilà, c'est aussi ça Twitter. De l'humanité.
De mon côté, en ce soir du 11 novembre, je suis partie à la recherche de mes racines. Pas pour dessiner un arbre généalogique (suis totalement nulle en dessin, même quand il s'agit de crayonner un arbre). Pour comprendre. Mon histoire. Notre histoire.
En ce soir du 11 novembre, j'ai écrit à @monsieurkaplan.
Cher Monsieur Kaplan,
C’était un matin de 11 novembre.
Sur Twitter.
Ce réseau sur lequel nous nous amusons à critiquer, fustiger, à partager nos humeurs, nos trouvailles dans la presse. Et autres futilités.
Et au milieu de ces messages, des phrases de 140 caractères sont venues troubler ma vision.
Parce que rapidement des larmes ont embué mes yeux.
J’ai lu votre histoire.
Celle de votre grand-père.
Une histoire universelle. Universelle, car tout à coup, les questions sont montées à la surface. Ces questions que nous ne posons jamais.
Celles qui pourtant nous fondent. Nous offrent les bases de ce que nous sommes aujourd’hui en 2013.
C’était un 11 novembre 2013. Il était 19H30.
J’ai appelé mes parents. A 1000km de là.
Jamais ils ne m’ont paru si loin.
A nous trois, et grâce à vous, nous avons évoqué mes grands-pères. Celui que je n’ai pas connu. Mort trop jeune.
Celui que j’ai tant chéri. Lui, avait fait la guerre de 39-45. Nous n’en avons jamais parlé. Il ne fallait pas parler de la guerre. Ma grand-mère m’a avoué un jour au détour d’une conversation qu’il était dans la Résistance. Mais personne ne m’en a dit plus.
Pour la première fois, j’ai alors demandé qui étaient mes arrière-grands-pères. Ceux qui devaient avoir fait l’autre guerre. Celle dont vous parliez avec votre grand-père.
Je n’ai rien appris de cette guerre.
J’ai appris que mes parents ne parlaient pas de cette histoire avec leurs aïeux. Parce qu’on ne parle pas de ces choses-là, monsieur Kaplan.
Non. On reconstitue au fur et à mesure des hypothèses. On recolle des morceaux de vie.
En ce soir du 11 novembre, j’ai appris que du côté de ma mère, nous étions Allemands.
Et que personne ne savait si l’arrière-grand-père avait fait la guerre. Il était cheminot, engagé au Parti Communiste et candidat à la ville de Nice contre un certain Jean Médecin. Ma grand-mère avait retrouvé un mot de condoléances de Jean Médecin quand son père était décédé. Un mot plein de respect pour celui qui fut son adversaire politique. Cette histoire, ma mère la connaissait. Mais elle n’a jamais vu ce bout de papier.
Quant à l’autre homme de la famille, l’autre arrière-grand-père, il n’existait pas. Inconnu au bataillon comme on dit.
En ce soir du 11 novembre, j’ai appris que du côté de mon père, nous étions Italiens. Et que personne ne savait si l’arrière-grand-père avait fait la guerre. Il s’était exilé sur ces terres tunisiennes où est née ma grand-mère, puis mon père.
Quant à l’autre homme de la famille, l’autre arrière-grand-père il n’existait pas. Non plus. Mon père sait qui il était. Un nom. Mais c’est tout. Presque inconnu au bataillon…
Alors, cher monsieur Kaplan, en ce jour de 11 novembre, je me suis dit que je ne pourrai guère apporter un témoignage constructif par rapport à l’histoire de votre grand-père.
Mais, et je ne vous en remercierai jamais assez, à 40 ans j’ai de nouveau compris que la nationalité française était une notion relative.
Que la relativité historique pouvait être source de tolérance.
J’ai compris que les silences et les non-dit devenaient des barrières à notre propre histoire.
Que les témoignages étaient nécessaires pour construire un relais intergénérationnel.
Pour ne jamais oublier.
Ne jamais oublier.
Eva ROQUE.
Née un jour d'avril 1973 à Nice