Derrière le rideau, il y a...
Demain (si tant est que vous lisez ce billet le samedi 29 mars), vous allez tirer le rideau. Vous glisser dans la cabine. Peut-être allez-vous hésiter. Le rouge, le bleu ou le vert. Vous avez déjà essayé toutes les couleurs et vous ne savez toujours pas celles qui vous convient le mieux.
Et puis, vous ressortirez. Il n'y a pas de miroir pour se regarder en face. Se demander si c'est le bon choix. Il n'y a pas de caisse enregistreuse non plus. Encore que...
Demain, l'isoloir sera votre cabine d'essayage.
Celle dans laquelle on se cache avec plaisir - souvent - dans les magasins. De l'isoloir à la cabine, les conversations se ressemblent d'ailleurs "Je la déteste celle-là. Trop grande gueule. Elle pense qu'elle a de bonnes idées. Tu parles ! Que de la gueule, oui !" *.
Dans ma grande folie et mon caractère voyeur, j'avoue adorer traîner près des cabines d'essayages. Voire m'asseoir à proximité. Mettre mes 5 sens en éveil. Mater les pieds et les fringues qui s'étalent par terre entre le sol et le bas du rideau. Ecouter les conversations entre copines, entre couple (mes préférées) ou avec la vendeuse qui compte les minutes qui lui reste avant sa pose.
Je le concède, sur les 5 sens dont nous sommes dotés, parfois je rêve d'être victime d'anosmie. Un peu comme dans le métro. Y'a celle qui s'est délicatement parfumée. Celle qui a confondu la bouteille de Chanel avec un vaporisateur pour plantes vertes. Celle qui n'a jamais acheté de "sent bon" de sa vie. Et puis, il y a... les odeurs de pieds. Passons sur ce détail olfactif.
Les cabines d'essayage, c'est des tranches de vie. Des lieux d'envie ("Maman ! s'il te plait, allez achète moi cette robe. T'es chiante tu veux jamais !")**, des lieux de désir ("chérie, juste une seconde, laisse moi toucher. Je veux voir si le tissu est agréable")***, des lieux de doutes aussi ("tu trouves pas qu'il me boudine un peu ce pantalon?")****.
Dans une autre vie, la cabine d'essayage était surtout mon lieu de travail.
Car oui, je fus vendeuse chez Décathlon. Engagée pour le rayons vêtements de ski. Outre les moufles, les chaussettes, et autres tee-shirts respirants, ce rayon était assez passionnant pour l'aspect technique.
Pas la technique du "comment je vais arriver à mettre tout le stock de pulls sur ce rack" mais la technique des matériaux utilisés notamment pour les vestes. Je parle pour ceux qui font du ski régulièrement, les frustrés du Super G, des JO. Qui ont la nécessité absolue d'être parfaitement équipés et qui répètent : "Vous ne pouvez pas comprendre, mais moi j'ai besoin d'avoir une balise de survie dans la manche. Moi, le ski, c'est le hors piste". Moi, moi, moi... Toi, tu vas prendre une baffe si tu continues à me raconter ta vie de skieur du dimanche. Achète cette veste Eider et tout ira bien. Les chiens repèreront peut-être le tissu rouge quand tu seras enseveli sous 2 mètres de neige.
Vendeuse à Décathlon, c'est l'art de la patience. L'art de l'acceptation. De l'oubli aussi. Oublier que vous êtes là parce que vous avez un loyer à payer et un estomac à nourrir. (l'étudiante en DEA a toujours faim).
N'empêche que je l'aimais bien ce boulot. J'avais jamais été aussi près des cabines. Je crois que j'aurai pu élaborer un traité de sociologie du comportement des usagers. J'ai choisi d'écrire une thèse sur les comportements politiques des catholiques. Comme quoi l'isoloir et la cabine d'essayage se confondaient déjà dans mon esprit.
Malheureusement, la saison de ski a fini par finir. Logique. Me suis retrouvée au rayon rando. En passant par le rayon sac de sport et nutrition avec des mecs qui toutes les deux secondes venaient me demander de la dope.
Et puis, le joli mois de mai est arrivé. Et l'enfer avec. L'enfer du maillot de bain. Surtout ces deux pièces qui à l'époque ne pouvait pas se vendre dépareillés. "Non, si vous faites du 38 en bas, c'est 38 en haut aussi. Je sais, c'est débile, mais c'est comme ça. Je ne suis pas patronne de Décathlon. Arrêtez de m'emmerder. Et surtout votre taille c'est 44, pas 38".
Vous ne parlez pas tout à fait comme ça à la cliente (sans aucun sexisme de ma part, j'avoue avoir eu une nette préférence pour les CLIENTS. Oui, vous, messieurs)... Vous optez plutôt pour : "Vous savez, il taille petit ce maillot, vous devriez prendre plus grand". Réponse de cliente : " non non, ça va aller". Vous, l'oreille tendue vers la cabine, vous l'entendez. Vous l'entendez cette couture. Un léger bruit de craquement, de déchirement. Et la voix de la cliente : "j'aime pas du tout ce modèle. Tant pis, j'irai voir ailleurs".
Moi aussi un jour, j'irai voir ailleurs.
En attendant, j'ai tenu. Longtemps. Très longtemps. J'ai parfois craqué (pas les coutures) mais nerveusement en rentrant le soir. Epuisée. Obligée de prendre une aspirine pour lutter contre les douleurs dans les jambes et le dos. Saturée des récriminations des clients. Crevée d'avoir couru après les gosses dans le magasin, testant les rollers, les vélos et autres planches à roulettes...
Pourtant, je suis toujours arrivée dans le rayon avec le sourire. Oui. Vraiment. Ce boulot me plaisait. Parce que j'ai compris que la sincérité et l'honnêteté payeraient un jour dans ce bas monde. Que les parents à qui j'avais vendu la combinaison premier prix pour leurs enfants qui avant la fin de la semaine de ski, auraient déjà grandi de quelques centimètres, vous disent merci de ne pas avoir été pris pour des pigeons, et surtout reviennent plus tard. Car, un client content, 3 clients gagnés. Un client mécontent, 10 clients perdus.
Une phrase ancrée dans mon cerveau comme une devise.
Une devise que je tente de ne pas oublier. De la même façon, que dans la presse, nous écrivons pour être lus. Pas pour se faire plaisir.
Une devise pour nos politiques ? Allez savoir.
* extrait d'une vraie conversation entre deux copines, entendue dans la cabine de chez Zara dans le sud de la France. Avec l'accent qu'il faut.
** extrait d'une vraie conversation entre une fille et sa mère, au Printemps. Avec accent parisien, tendance 16ème arrondissement.
*** extrait d'une vraie conversation entre un monsieur et sa dame (je ne connais pas la nature de la relation entre ces deux personnes), rayon lingerie aux Galeries. Précision : le monsieur est debout, la tête entre le rideau et la cabine, et a de toute évidence une idée très précise de ce qu'il aimerait faire dans les 5 minutes à venir.
**** extrait d'une vraie conversation entre moi et moi-même, rayon Levis.