Tous voyeurs
Big Brother is watching you.
Et moi avec.
Débutons par un aveu : J'ai un côté voyeur. Ou voyeuse. Comme vous voulez. Pas voyante en revanche.
Depuis que je suis gosse, je me complais à rester à ma fenêtre pour regarder chez les autres. La nuit. Quand une lumière dans un appartement attire le regard. Je n'espère pas y voir un couple en train de batifoler (encore que) mais j'aime m'attarder sur un détail, imaginer une ambiance, des dialogues entre les personnes que je devine, m'amuser des silhouettes qui passent et repassent.
Je ne passe pas toutes mes nuits à cela. L'idée de photographier une scène ne me viendrait même pas à l'idée.
D'autant que quelqu'un d'autre l'a eu cette idée. Je ne sais pas comment il s'appelle. A quoi il ressemble. Qui il est. Mais depuis ce matin, il m'obsède ce big brother planqué. Concrètement, il s'appelle Instantpeeping.dareville.com et ressemble à ça.
Exercice de traduction pour tenter d'y voir plus clair...
instant : c'est comme en français.
peeping : jeter un coup d'oeil.
dareville : le mot n'existe pas en anglais. Mais comment ne pas penser à "daredevil" qui signifie casse-cou et "devil" le diable.
Et maintenant, explication. Sur ce site donc, la cartographie de cinq villes. S'affiche à droite, la température, la météo, la latitude et longitude du lieu en question.
Au centre, la carte parsemée de points jaunes. Soit des Internautes qui ont eu la "judicieuse" idée d'activer la géolocalisation de leur smartphone et sont abonnés à Instagram, le site de partage de photo (avec des profils publics, précisons-le).
Et à gauche de l'écran... Le spectacle. Le spectacle de vos vies. De nos vies. En temps réel, défilent les photos postées sur Instagram. Des instantanés d'existences à la même seconde à Tokyo, Londres, New York, Stockholm et Paris.
Et moi, devant mon écran, fascinée, subjuguée par ce qui se passe sous mes yeux. Comme si des milliers de caméras de surveillance devenaient accessibles depuis mon ordinateur. Comme si j'entrais chez vous, chez eux en une fraction de seconde.
Exercice pratique.
A 12h08 heure de Paris, j'ai vu des jolies femmes, le mot métro et le repas très américain d'un internaute (évidemment vous pouvez consulter les profils Instagram de toutes ces personnes qui ignorent sans doute ce site, en cliquant sur la petite pastille jaune ou sur la photo).
Au même moment, à Tokyo, il était 20h02. J'ai dégusté des plats japonais en découvrant une maison typique et un disque qu'apparemment un Tokyoïte s'apprêtait à écouter.
Au même moment, à Stockholm, il était 12h03. Un garçon faisait sa muscu, un bébé tentait d'approcher de son parc et quelqu'un buvait un café en lisant un magazine.
Au même moment, à New York, il était 7h07 et il faisait - 6 degrés. Des enfants partaient à l'école, un homme était (encore ou déjà) dans un bar, un autre en vacances dans un lieu très joli.
Big Brother is watching you...
Passé le moment de stupéfaction-fascination-voyeurisme-jedeviens accro, j'ai pensé :
- les détectives privés devraient penser à changer de job.
- l'Homme aime les chats, la bouffe, et les autoportraits.
- ne jamais, mais jamais activer la géolocalisation de son smartphone.
- ne jamais, mais jamais (sauf désir irrépréssible d'exhibionnisme) poster sur Instagram une photo trop olé olé.
- si un producteur télé n'a pas encore développé une nouvelle télé-réalité à partir de cette idée, je change de métier...
Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. D'une télé-réalité dans la réalité. D'un écran-réalité auquel nous participons, parfois sans prendre la mesure de cet oeil qui nous surveille. Et la fascination avec laquelle nous observons ce village planétaire participe au même processus de voyeurisme, assumé ou pas.
En 2001, sociologues, journalistes, experts en tout genre s'écharpaient sur Loft Story, version française de Big Brother. Le logo de l'émission, c'était ça.
Big Brother is watching you...
Passé le moment de stupéfaction-fascination-voyeurisme-jedeviens accro,
Il est 13h15 à Paris.
Je pars déjeuner.
Sachez-le.
Pour le reste...