Microsillon

par roqueeva  -  23 Décembre 2014, 12:06

Microsillon

C'est un tout petit geste. 

Un bruit aussi. Un minuscule bruit. Un craquèlement unique. Un diamant sur un microsillon.

Soulever le bras délicatement. Le remettre sur son socle. Tourner le vinyle. Soulever de nouveau le bras et le poser doucement, tout doucement, sur la piste noire.

Attendre d'entendre ce grésillement. Et savourer...

Comme si la musique venait d'un autre temps. D'un autre espace. Prendre le temps d'écouter. Se réjouir de devoir se lever pour changer de face. Prendre le temps de refaire ce geste. Et savourer à nouveau.

J'avais oublié cette sensation. Ce bruit. J'avais oublié ce que signifiait écouter de la musique. Avec le numérique, les notes sont désormais un flux ininterrompu. Sans passéisme de ma part, sans nostalgie excessive, j'ai repris goût aux bruits imparfaits d'un vinyle. J'ai replongé mes mains dans les bacs du disquaire du quartier. Nous avons parlé, échangé. Refait le monde en musique.

Je me délecte de replacer le disque dans sa pochette. De découvrir une dédicace au dos d'une pochette "Pour Alain". De me revoir enfant dans le salon familial à danser sur Le Carnaval des animaux ou encore à chanter avec Armstrong. 

Une platine. Des vinyles. Et une vague de douce nostalgie qui envahit mon quotidien. Comme si ce microsillon traçait une autre sillon dans ma vie.

Je pensais à tout cela depuis hier soir. Depuis que la voix de Sinatra s'est immiscée dans l'appartement en cette fin de journée glaciale. En me réveillant, l'incessant et délicieux bruit du diamant était encore dans mes oreilles.

Une heure plus tard, l'annonce de la mort de Jacques Chancel résonnait à la radio.

C'était le temps, aussi, de la platine et du microsillon. Des souvenirs devant une télé avec mes parents, fascinée par l'immense orchestre, la fumée qui se dégageait de la table basse. Les rires des invités. Le sourire en coin de Chancel. Cette sensation de foutraque organisé. Cette impression de vie. Il se passait quelque chose. Eux se sentaient vivants sur le plateau. Et nous avec, de l'autre côté de l'écran.

J'ai replongé dans les archives, écouté les hommages, les mots malicieux de Michel Field, revu une énième fois cet extrait avec Brassens, Ventura, Devos et les frères Jacques. Le bruit du diamant sur le vinyle d'un Brassens m'est alors revenu, et la voix de mon père chantant Les Copains d'abord.

Demain, au milieu de leurs bagages et autres cadeaux, un sac m'attend. Un sac plein de ces disques qui m'ont permis de construire cette boîte à souvenirs. Il suffira alors de sortir la galette de sa pochette. La placer sur ce plateau noir. Saisir lentement le bras. Et laisser glisser le diamant...

 

 

 

 

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J
Tiens, plein de souvenirs qui reviennent.<br /> Le premier, c'est ce mange-disque orange que j'avais reçu pour mon anniversaire. Avec quelques disques de l'époque. Un choix éclectique, allant de Ray Charles à Stone et Charden en passant par les Beatles.<br /> Ce dernier disque, c'est MON premier disque, celui que je suis allé acheter avec mes sous, chez M. Dufréchou à Ramonville St Agne.<br /> Du coup, de la musique, j'en écoutais partout et tout le temps. Ouais, même en allant aux toilettes. Et alors ?<br /> <br /> Après, j'ai eu un truc super. Un Teppaz ! Avec interdiction de prendre les disques de la discothèque de mon père. Autant demander à @monpsyvite de ne pas écrire de conneries.<br /> J'ai commencé à écouter des disques de grand. Procol Harum, tu vois, des trucs comme ça.<br /> <br /> Un jour de Noël, ma cousine Christine a reçu en cadeau le nouvel album de Julien Clerc, un chanteur qui démarrait. Et moi... Ali Baba raconté par Fernandel. Mais ça va pas non, on a 6 mois d'écart. Du coup, ma tante a échangé mon disque contre le même album que celui de ma cousine. Mon premier 33 tours à moi.<br /> <br /> Et puis un jour, mon père m'a amené voir Procol Harum en concert à la Halle aux Grains, à Toulouse. Oh putain, les chansons, c'est les mêmes que sur le disque mais pas tout à fait.<br /> Du coup, après, j'ai toujours beaucoup aimé les disques live.<br /> Entre temps, j'enregistrais des 33 tours sur cassette. Alors je t'explique, toi jeune lecteur qui ne sait pas ce que la technique de l'époque nous faisait faire. On posait un enregistreur Blaupunkt devant la chaine hifi, on mettait le disque et il fallait se taire. Bah ouais, le son sortait des enceintes et le buzophone enregistrait sur la cassette quoi. Ca prenait le temps du disque. Un peu plus si le téléphone sonnait (si tu avais le téléphone) où si tes parents entraient dans la pièce en hurlant &quot;A table&quot;.<br /> <br /> Petit à petit j'ai eu une discothèque qui a grandi, qui suivait dans les déménagements successifs. <br /> <br /> Et un jour, la révolution. Le CD. Le truc qui fait que c'est bien oui mais moins. Plus de craquements au début du disque, plus besoin de se lever quand le disque est rayé, plus de disque gondolé quand tu l'as laissé au soleil.<br /> <br /> Maintenant, il est difficile de comprendre pourquoi on dit qu'on trouvera le nouvel album d'une telle ou d'un tel dans les bacs. Je te parle des bacs avec des 33 tours en bas et les 45 tours juste au dessus. <br /> Tu pouvais demander au disquaire d'en écouter un peu et s'il était gentil, et que tu ne voulais pas écouter l'intégrale de Mireille Mathieu, tout le magasin en profitait.<br /> <br /> J'ai dans un placard, dans des cartons, des 33 tours qui attendent sagement le jour où ils pourront aller se dégourdir le sillon (il n'y a qu'un seul sillon sur la face d'un disque) sur une platine, avec la petite molette qui tourne pour que tu règles la vitesse.<br /> Promis, ce jour là, j'aurais 14 ans.<br /> Hein ? J'ai toujours 14 ans ? Oui, c'est vrai aussi. Mais là, encore plus.
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E
Serais-tu le voleur de mon mange-disque orange ? Merci pour ce joli billet. Pour ces mots qui parlent d'une douce nostalgie.
G
Avec Brassens c'était les Compagnons de la Chanson.<br /> Que du bonheur !
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E
Mais pas sur cet extrait ??? C'est pas les frères Jacques ??
T
Emouvant ce rappel du passé si proche pourtant. <br /> Tout va trop vite.<br /> Emouvantes aussi ces références familiales.... <br /> C'était &quot; Les Copains d'abord&quot; mais aussi Colette RENARD et ses chansons grivoises....<br /> Les chanterons-nous demain soir, tchoucatoune ?
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E
Tu sais j'adore les pochettes des albums de Colette Renard... Depuis que je suis enfant. Sourire. Chauffe ta voix tonton. Demain soir, ça va être de la folie