Supercalifragilistic...
Le mot est apparu sur mon écran.
Et comme une madeleine de Proust, j'ai replongé. Survolant les toits avec des ramoneurs. Esquissant des pas de danse avec des pingouins. Rangeant ma chambre d'un claquement de doigt. Evidemment.
Posséder le sac de Mary Poppins surtout. Un joli sac en cuir noir dans lequel il y aurait un porte manteau (oui, je sais, ça ne sert à rien), une boîte à outil (pour changer un flexible de douche), des kleenex, des vêtements de rechange (c'est toujours utile), une trousse de maquillage, et des carnets avec un tas de crayons.
Des carnets à noircir. De pensées et d'émotions. De mots. De jolis mots. De phrases. De verbes à conjuguer. Accoucher d'histoires et désembrumer nos cerveaux. Ecrire "Supercalifragilistic" et chantonner le reste de la formule magique, une formule capable de nous ouvrir les portes du monde, de nous faire voler au-dessus des toits. Et nous offrir un instant de liberté.
Parce que les mots nous désenclavent...
Les mots de votre enfance sont ensuite apparus sur mon écran.
Bergamote pour Tulipe et ces senteurs d'eau de cologne parfumée aux agrumes qui chatouillent le nez.
Sacha, lui, adorait le mot "déjà" avec ces deux accents ou le mot arbre et ses 2 r.
Sandra s'est souvenue combien elle avait du mal à dire étoile de mer, transformée en "tomédane".
J'ai souri en découvrant le message de Claire qui répétait, enfant, "Montpelliereine", "qu'est-ce que j'étais fière d'être reine". Pendant que son frère blaguait : "On va à Montpellier. Super. A Ton Pellier".
Comme autant de madeleine, Marc se délectait du mot Gloubi Boulga. Ariane aussi qui l'associait à Barbatruc. Alors que Till the Cat préférait celui de bonbec.
Laurent m'a parlé de "Saperlipopette", Garance de "mammmmmmmmmannnnn" et de l'expression "j'te f'rai dire". Philippe lui disait "même pas cap" et Julien "Je te cause plus".
Julie, en bonne sudiste, clamait "eau de couillonne". Son fils, aujourd'hui, chante au Clair de la lune : "Prête moi ta plume pour écrire AMOUR".
Pendant longtemps Aude a pronocé des "tacalogues" et "L'Egypte tancienne". J'ai entendu la voix rieuse de Dominique avouer l'expression si drôle "La teu de totodile".
Elodie m'a raconté son goût pour le mot chimique, "j'aimais le son". Laurence ne jurait que par celui de cheval, et Céline pour cabane.
J'ai cru que Laure plaisantait quand elle m'a écrit "anticonstitutionnellement". Mais le mot le plus long fait rêver. Laure, et Caroline aussi, qui aujourd'hui savoure encore "presqu'île". Dans le bureau d'à côté, Jean-Charles a dit "Boule au miel", Milia celui de"courgette".
Jean-Charles est revenu avec "brushing". J'ai comme un doute, Jean-Charles...
Pendant que je me délectais de vos mots comme une main piochant des bonbecs dans un pot trop grand pour ma main d'enfant, un paquet est arrivé.
Une petite valise en carton estampillée Calimero...
Calimero, le héros de mon enfance...
Comme la Faucheuse avait semble-t-il voulu m'envoyer un avertissement samedi (mais j'ai pas mourru), j'ai compris que ce mot magique de Mary Poppins et la valise de Calimero étaient des signes. A écouter.
Conserver son âme d'enfant.
Ne pas oublier qui nous avons été.
Comme autant de remparts à l'intolérance. A la bêtise aussi.
Loin du monde des Bisounous, simplement profiter de ces instants de légèreté pour supporter le monde. Et acquérir une forme de liberté.